mardi 12 juin 2007

Cinéma - SEMPRE VIVU ! Film de Robin Renucci


ODE A LA VIE


L'oeil attentif, le coeur généreux, Robin Renucci est un cinéaste en voie de disparition. Anticonventionnel, l'acteur, connu, reconnu, refuse l'idée de vedettariat, se moque des compliments pompeux. Il est ailleurs. Chacun sa quête. Lui cherche l'indépendance de l'esprit, l'autonomie des corps, à travers l'art, l'acte créatif. Il choisit ses rôles, avec exigence, croise les destins de réalisateurs de renom tels que Michel Deville, Claude Chabrol, Bernardo Bertolluci, Jean-Pierre Mocky...
Passé derrière la caméra, il vient de réaliser son premier film pour le cinéma. Sempre Vivu! (littéralement « Toujours vivant ») est une création atypique, où comédie et tragédie avancent poings liés. Il y est question de l'homme, saisi avec tendresse dans ses paradoxes, ses affirmations. Toujours sincère même quand il ment ! Et puis de la Corse, bien sûr ! Terre d'origine du réalisateur, où s'est déroulé le tournage.

Robin Renucci nous a reçus à Paris, dans les locaux d'Agora Films, producteur et codistributeur du film. Rencontre avec un saltimbanque maniant les images et les mots avec jubilation.

Vous signez avec Sempre Vivu ! votre premier film pour le cinéma. Comment est né ce projet ?
A l'origine, il y a les Rencontres internationales de théâtre en Corse* que j'ai mises en place en 1998 pour développer la création et l'imaginaire des habitants du petit village de montagne enclavé d'Olmi-Cappella, où sont mes racines. Dans ce film, j'ai souhaité continuer l'aventure en leur donnant la parole. J'ai eu envie de les filmer dans leur quotidien, leurs rêves, de mettre en valeur leur sincérité, leurs coups de gueule et leur timbre de voix. La plupart d'entre eux n'avaient jamais joué de leur vie.

D'une certaine manière, votre démarche a consisté à donner la parole au public. C'est très inhabituel...
Sempre Vivu ! est un film déroutant, dérouté même. Il sort des sentiers battus parce qu'il est fait sans acteurs connus, pour et par le public. En rompant avec l'idée du spectateur-consommateur, il cherche à susciter en lui des émotions, à l'emmener vers des territoires inconnus. Et surtout, à lui rendre une parole si souvent confisquée. J'ai donc ouvert un atelier d'écriture, dirigé par Ricardo Montserrat, écrivain, qui a réuni pendant un mois des participants venus de la Corse entière. Cela renvoie à la notion de « culture populaire » dont je suis issu et que je revendique, c'est-à-dire que chacun est capable de créer, mais surtout d'être l'artisan de sa propre vie et d'affirmer son identité.

Le pari était audacieux. Qu'est-il ressorti de cet atelier d'écriture ?
La matrice du scénario. A savoir l'idée d'adopter le point de vue d'un vieux maire qui a toujours été à la lisière de l'illégalité et qui cherche à se racheter en construisant un théâtre. Le début d'une farce en somme, pour mieux parler d'une situation réelle : l'enjeu que peut représenter la culture, ici la construction d'un théâtre, dans une campagne en voie de désertification. J'ai ensuite travaillé cette matière écrite collectivement pour structurer la narration et donner son rythme au film.

Sempre Vivu ! oscille entre légèreté et gravité de ton. Cela génère une oeuvre décalée, atypique.
Le film est fondé sur des vrais mensonges, de fausses vérités, des malentendus qui n'en sont pas, des non-dits assourdissants. L'influence de la Commedia dell'Arte est omniprésente. Par le choix de la comédie « à l'italienne », qui déplace la Corse un peu plus à l'est qu'habituellement, j'ai voulu distiller une humeur de « joyeux bordel ». Une dimension baroque, proche aussi de l'Europe centrale, et tzigane.

Selon vous, est-ce à travers le rire que l'on parvient à saisir la dimension tragique de l'être humain ?
La tragédie est tout à fait liée à la comédie. Cela se passe au même endroit. Les rires et les larmes partent du très puissant bas-ventre. Je suis convaincu qu'il fallait une farce pour raconter sans pleurer les ravages que font le mensonge, la corruption, l'autisme des administrations, l'égoïsme des gens au pouvoir. Il m'importait aussi de redonner de l'espoir, de rendre sa place à la langue, à la culture, et de réconcilier l'irréconciliable : les frères ennemis, la vie et la mort, les jeunes et les vieux, le vrai et le faux, les modernes et les anciens. Et pour finir d'imaginer un avenir vivant et joyeux.

Le passage à la réalisation était-il pour vous une évidence ?
C'est comme un accouchement. A la fois le plaisir de donner la vie, et, en même temps, la difficulté d'enfanter, de porter quelque chose qui est long.

Propos recueillis par Cécile Moreno

* Contact : ARIA (association des rencontres internationales artistiques).
Tél. : 04 95 61 93 18. Site Web : http://www.aria-corse.com



mardi 27 mars 2007

L'IMPERIALE DE VAN SU (ou comment je suis entré dans le cinéma en dégustant une soupe chinoise) - Raoul Coutard



NOUVEAUTE
Livre & Cinéma



Un livre de RAOUL COUTARD
(en collaboration avec Cécile Moreno)

Editions Ramsay (avril 2007), 22 €
(Fnac 20,90 €)




« Deux ou trois choses que je sais de lui »

J’ai rencontré Raoul Coutard, pour la première fois, un matin d’hiver 2003. Nous nous étions donné rendez-vous dans un petit bistrot, situé à deux pas de la gare Montparnasse, à Paris. Du fait des conditions météorologiques particulièrement capricieuses, paralysant une grande partie du trafic routier et ferroviaire français, nous avions dû, à plusieurs reprises, repousser notre entrevue.
Raoul résidait alors dans l’Eure-et-Loir. Les chutes de neige quotidiennes le retenaient sur ses terres. Il ne nous restait plus qu’à être patients, et à attendre sagement que l’adversité climatique cesse enfin de nous jouer ses vilains tours. Ce qui finit par arriver.
Un soir, je reçus un coup de fil de Raoul m’annonçant : «
On pourrait peut-être se voir le 16, à 10 h. Ca vous va ? Je vous appellerai la veille pour vous confirmer mon arrivée à Paris. Avec ce foutu temps, on est sûr de rien. »

Le 16 au matin, j’arrivai en avance à notre rendez-vous. Je pris place dans le café, choisissant un coin discret et tranquille, où nous serions à l’aise pour discuter. Puis j’appelai le serveur et passai ma commande. Un journal en main, je surveillai, ça et là, les entrées et sorties des clients du Vaugirard.

Imperméable moutarde, casquette verte, Raoul Coutard poussa enfin la porte du café. Il s’installa, commanda une bière, m’observa quelques instants. Puis, nous commençâmes l’interview. Nous allions passer plus de deux heures ensemble. Deux heures durant lesquelles, il évoqua sa rencontre avec Pierre Schoendoerffer autour de la fameuse Impériale de Van Su – c’est une soupe – , son travail avec François Truffaut, le tandem qu’il forma avec Jean-Luc Godard, sa récente collaboration sur le film de Philippe Garrel,
Sauvage Innocence

Puis est arrivé le moment où, comme quand un film touche à sa fin, on se sent envahi par cette furieuse envie de rester là, assis, malgré tout. De ne pas partir. Le générique commence à défiler. Il faut remettre son manteau. Quitter la salle.

A Bout de Souffle (1959) / Jean-Paul Belmondo & Jean Seberg

Avant de nous séparer, je lui posai une dernière question : «
Raoul, quelle est votre plus grande ambition dans la vie ? ». « Je n’ai jamais eu de grandes ambitions dans la vie, m’avait-il répondu, souriant à l’évocation de cette interrogation formulée par Patricia (Jean Seberg), dans A Bout de Souffle. Un jour, m’avait-il simplement confié, j’ai un copain qui m’a dit « Moi, j’ai choisi la gloire ». Peut-être avait-il raison, car souvent elle permet beaucoup de choses, surtout vis-à-vis de son banquier ! Mais peut-être avait-il tort… Une chose est sûre, c’est que le cinéma est un métier d’une injustice totale. Il y a des tas de gens bourrés de talent qui n’auront pas la chance de l’exercer. Alors, la seule chose que l’on peut dire, c’est que finalement j’ai fait un film, puis j’ai réussi à en faire d’autres… et surtout, que je ne regrette rien. »
Puis de conclure, amusé : «
De toute façon, je ne suis pas le genre de mec à me retourner, pour me dire « J’aurais dû faire ci, j’aurais dû faire ça ». Je considère que l’expérience, c’est la somme des conneries que l’on a faites dans sa vie… Plus on en fait, plus on a d’expérience ! Ce qui importe est de comprendre pourquoi les choses se sont passées ainsi, de ne pas rester sans savoir et d’éviter tout malentendu avec soi-même et les autres. »

Fin de la conversation. Raoul reprit son train pour rentrer chez lui. Quant à moi, je retournai à la rédaction. Je dois avouer que j’étais en proie à un étrange sentiment. Une certaine allégresse à laquelle cependant venait se mêler une certaine frustration. Il y avait tellement de choses à dire encore. Tellement de choses à écouter. Encore.

Quelques temps après la parution de mon article, je décidai de le recontacter et lui proposai de le rencontrer à nouveau pour aller, cette fois-ci, plus loin qu’une simple interview. J’évoquai, non sans une certaine timidité, l’éventualité d’écrire un bouquin sur sa vie, son métier, ses souvenirs de tournage… D’abord, il m’écouta. Très réticent, il m’expliqua : «
Je ne sais pas vraiment si j’ai envie de m’embarquer là-dedans. Et puis, je ne vois pas l’intérêt de me raconter sur des centaines de pages ! ».
Je crois que c’est avant tout pour me faire plaisir qu’il a finalement accepté de me revoir. Après plusieurs rendez-vous et un mémorable «
Vous commencez à m’emmerder, Cécile ! » – j’avais une fâcheuse tendance à l’agacer en souhaitant que ce livre soit l’occasion pour lui de se mettre « en lumière » – nous étions arrivés à nous mettre d’accord. Le livre, si livre il y avait, ne serait ni une autobiographie, ni une compilation de questions-réponses, façon interviewé-interviewer, et encore moins un livre technique s’adressant uniquement à un public averti.

Pendant plusieurs mois, nous avons fonctionné de la façon suivante. Raoul s’enregistrait sur des bandes, me les faisait parvenir dès qu’elles étaient prêtes. De ces bandes sont nés des fragments de textes que nous révisions, à chaque fois, ensemble. Nous nous retrouvions régulièrement, dans l'Eure et Loir, ou dans son appartement à Nanterre, pour confronter nos points de vue.

J’apprenais à le connaître. Il m’apprivoisait.

C’est ainsi qu’a commencé à prendre corps cet ouvrage. Un livre où Raoul Coutard raconte, sans jamais trop se raconter, plus de cinquante ans de cinéma. Le lecteur averti, tout comme le grand public, y découvrira un homme franc et plein d’humour. Un homme qui se souvient, raconte ce qu’il a vu, ce qu’il a vécu, sans jamais se prendre trop au sérieux.

Et ainsi va la vie. Sous la lumière douce de Raoul Coutard, qui se dessine derrière ces pages.






Portrait de RAOUL COUTARD


De notre première rencontre, en 2003, était né ce portrait publié dans Nanterre info, journal local de la ville de Nanterre (Hauts-de-Seine)





Et l’homme créa l’image

Un jeudi matin du mois de janvier 2003. Dans un petit bistrot, situé à deux pas de la gare Montparnasse, à Paris. Imperméable moutarde, casquette verte, Raoul Coutard pousse la porte du café « Le Vaugirard ». Une silhouette peu connue du grand public. Et pourtant… L’homme a, à présent, plus de soixante-dix ans. Derrière lui, un parcours cinématographique extraordinaire l’ayant amené, en qualité de directeur de la photographie, à travailler avec des réalisateurs reconnus, pour la plupart, comme incontournables. Parmi eux : Pierre Schoendoerffer, Jean-Luc Godard, François Truffaut, Jacques Demy, Costa-Gavras… « Le grand public ne connaît jamais les techniciens du film, sourit Raoul Coutard. Et je pense sincèrement que ce n’est pas plus mal, même si, sans le chef opérateur, par exemple, il n’y aurait pas d’images, donc pas de film possible. » Aujourd’hui à « la retraite », bien que n’hésitant jamais à donner un coup de main à ses amis – en témoigne notamment sa récente participation au film du réalisateur Philippe Garrel, Sauvage Innocence -, Raoul Coutard partage sa vie entre Nanterre, où il s’est installé depuis une quinzaine d’années, et une petite bourgade de l’Eure-et-Loir, au cœur de la campagne. C’est avec une simplicité et une humilité non feintes, qu’il évoque ses souvenirs de tournage et retrace, pour nous, plus d’un demi-siècle de cinéma.


Hasards et coïncidences

«
Le cinéma est entré dans ma vie par hasard. » Une coïncidence issue d’une rencontre avec le réalisateur Pierre Schoendoerffer. En toile de fond : la guerre d’Indochine. Reporter et photographe pour Paris-Match et Life, Raoul Coutard s’engage, dès 1952, dans le Service Cinématographique des Armées. « C’est comme ça que j’ai rencontré Pierre, explique-t-il. Il se trouvait à Hanoï, moi à Saïgon. Il était cinéaste, j’étais photographe. De temps en temps, on se rencontrait entre deux reportages, mais nous n’avons, durant cette période, jamais travaillé ensemble. » Très vite, cependant, les deux hommes se lient d’amitié. En 1956, après la fin de la guerre, leurs destins se croisent à nouveau lorsque Schoendoerffer lui demande de devenir chef opérateur sur La Passe du Diable, un documentaire long métrage sur l’Afghanistan. « Comme je n’avais pas la moindre idée de ce que c’était qu’être directeur de la photographie sur un film, j’ai accepté. » Le tournage est long, compliqué. Première difficulté : réaliser un film en couleurs qui serait entièrement tourné en cinémascope, alors que les films de l’époque, étaient majoritairement tournés en noir et blanc. « C’était une véritable plongée dans l’inconnu ! », souligne Raoul Coutard. Autres aléas venus entraver le cours du tournage : la difficulté d’obtenir les autorisations et dérogations nécessaires pour pouvoir filmer. « La moindre prise de vue posait d’horribles problèmes politiques, se souvient-il. Finalement, tout s’est bien passé, le film a pu être tourné, même si au départ, nous n’avions pas mesuré l’ensemble des difficultés qui nous attendaient ! » Un premier épisode qui marque le début d’une étroite collaboration avec Schoendoerffer, puisqu’ils tourneront ensemble cinq autres films, dont La 317e Section en 1964 et Le Crabe Tambour qui obtiendra en 1977 le César de la photographie.

Le tandem Godard-Coutard

Mais, c’est avant tout à la « Nouvelle Vague » qu’on associe le nom de Raoul Coutard. Et, plus particulièrement au tandem qu’il forme, dès la fin des années 50, avec Jean-Luc Godard. Une complicité qui naît dès leur premier tournage commun, en 1959, sur
A Bout de Souffle. Refusant toute recherche de photogénie au profit d'une image nécessaire, ils créent ensemble une nouvelle forme de cinéma et donnent naissance à un style visuel tout à fait innovant, en s’appuyant sur la technique du reportage. Ni sens, ni beauté fabriqués : le film repose désormais non pas dans le « carte-postalisme » des images, mais dans l'ineffable qu'elles dégagent. « J’ai rencontré Jean-Luc, alors journaliste et critique pour Les Cahiers du Cinéma, dans les bureaux du producteur Georges De Beauregard. Il était arrivé avec un scénario de quelques pages tiré par François Truffaut d’un fait-divers lu dans Détective. » Une habitude, selon Raoul Coutard qui confirme qu’« il n’y a jamais eu de scénario pour les films de Godard ». « Il arrivait tôt le matin, se souvient-il, avec ce qu’il avait écrit la veille au soir sur son petit cahier, mais ne le montrait jamais aux comédiens. Il leur expliquait ce qu’il fallait faire, puis ils répétaient, après lui, les dialogues qu’ils avaient à dire. »
«
Nous étions tous un peu déconcertés par la façon dont Jean-Luc voulait tourner. A l’époque, c’était une véritable révolution. » En effet, le film est entièrement tourné caméra à l’épaule et exclusivement en lumière naturelle. « Attendu qu’il n’y avait pas d’éclairages, lorsque les conditions météorologiques ne le permettaient pas, on ne tournait pas ! » Malgré des tournages parfois tendus, difficiles, « mes relations avec Godard étaient excellentes et nous étions véritablement complices. » Ensemble, ils signeront de multiples chefs-d’œuvre : Le Petit Soldat, Une Femme est une Femme, Le Mépris, Alphaville, Pierrot Le Fou, Made in USA, Passion… L’étroite collaboration entre les deux hommes durera jusqu’en 1983, date à laquelle ils signent leur dernier film commun, Prénom Carmen.

« Faire du cinéma autrement »

Parallèlement, Raoul Coutard enchaîne les tournages, avec François Truffaut - ils tourneront ensemble cinq films (
Tirez sur le Pianiste, Jules et Jim, L’Amour à Vingt Ans, La Peau Douce, La Mariée était en Noir), Jacques Demy (Lola), Philippe de Broca (Un Monsieur de Compagnie), Costa Gavras (Z , l’Aveu), Edouard Molinaro (L’Emmerdeur) et tant d’autres… Mais une chose est sûre, le duo formé avec Godard reste très certainement le plus marquant : « Jean-Luc, confie-t-il, a toujours eu la volonté farouche de faire du cinéma autrement. Contrairement à Truffaut, par exemple, qui s’est très vite remis à faire du cinéma « classique » avec, bien entendu, son talent à lui, Godard est toujours resté dans une certaine recherche de fabrication.» Lorsqu’on l’interroge sur sa propre participation à la « Nouvelle Vague », Raoul Coutard répond simplement : « Elle a consisté à accepter de faire des choses que l’on ne fait pas normalement. Ce qui naturellement implique d’oser prendre des risques. C’est donc une aventure que l’on ne peut pas faire avec tout le monde. » « Je crois avant tout qu’un film doit être une histoire d’amour, insiste-t-il. Il faut avoir envie de travailler avec ce réalisateur là, ces comédiens là et l’équipe qui va avec. »
Mais, dites-nous Raoul Coutard, «
quelle est votre plus grande ambition dans la vie ? » « Je n’ai jamais eu de grandes ambitions dans la vie », sourit-il à l’évocation de cette interrogation formulée par Patricia, interprétée par l’actrice Jean Seberg, dans A Bout de Souffle. « Un jour, confie-t-il, j’ai un copain qui m’a dit « moi, j’ai choisi la gloire ». Peut-être avait-il raison, car souvent, elle permet beaucoup de choses et, surtout, vis-à-vis de son banquier ! Mais, peut-être avait-il tort. Une chose est sûre, c’est que le cinéma est un métier d’une injustice totale. Il y a des tas de gens bourrés de talent qui n’auront pas la chance de l’exercer. Alors, la seule chose que l’on peut dire, c’est que, finalement, j’ai fait un film et puis j’ai réussi à en faire d’autres… et surtout que je ne regrette rien. »

Et de conclure, amusé : «
De toute façon, je ne suis pas le genre de mec à me retourner pour me dire « j’aurais dû faire ci, j’aurais dû faire ça ». Je considère que l’expérience, c’est la somme des conneries que l’on a faites dans sa vie. Plus on en fait, plus on a d’expérience ! La seule chose est de comprendre pourquoi les choses se sont passées ainsi, de ne pas rester sans savoir et d’éviter tout malentendu avec soi-même, et les autres. »

Cécile Moreno

Raoul Coutard a lui-même réalisé trois films :
Hoa-Binh, une adaptation d’après La Colonne de Cendres de Françoise Lorrain (1969), La Légion saute sur Kolwezi (1979) et SAS à San Salvador (1982).



Eléments biographiques

Raoul Coutard est né à Paris, en 1924. «
Un parisien pur et dur », comme il aime à se définir lui-même. « Ma mère était parisienne, ma grand-mère aussi », confie-t-il. Bref, une tradition familiale, si l’on peut dire, avec néanmoins une exception qui confirme la règle, puisque son père, jadis comptable pour la maison pharmaceutique Roche, était, quant à lui, originaire de la Mayenne. Loin du cliché des titis parisiens, enfants terribles n’hésitant pas à faire « les quatre cents coups », Raoul Coutard mène une enfance et une adolescence paisibles et studieuses dans la capitale. « J’aimais bien l’école et je travaillais même très bien. Il faut avouer que j’ai eu la chance d’avoir de très bons professeurs. J’ai appris à lire et à écrire avec Bled », explique-t-il. Un enfant sage donc qui, loin de rêver des plateaux de cinéma, voulait être chimiste. Il sera d’ailleurs reçu au concours d’entrée de l’Ecole nationale de chimie de Paris.
«
N’ayant que très peu d’argent, j’ai dû cependant renoncer à poursuivre mes études et j’ai commencé à travailler directement. » Egalement passionné par la photographie, il décroche alors un petit boulot dans un laboratoire-photo. Une inclinaison qui lui vient très certainement de son père, « photographe amateur éclairé ». « Comme je suis assez curieux de nature, tout m’intéressait, jusqu’au moindre détail. Ce travail m’a donc permis d’apprendre un maximum de choses concernant la photographie et d’affûter mon savoir technique. » Un trait de caractère qui s’affirmera tout au long de sa vie professionnelle.

lundi 5 mars 2007

Interview G. Dreyfus-Armand, directrice de la BDIC



Un patrimoine pour comprendre le monde d’aujourd’hui

La Bibliothèque de documentation internationale contem- poraine, implantée sur le campus de l’Université Paris X – Nanterre (Hauts-de-Seine) est, en France, l’un des plus grands organismes de documentation et de recherche, à promouvoir l’étude du monde contemporain. Rencontre avec Geneviève Dreyfus-Armand, directrice des lieux.

La BDIC est une institution tout à fait originale, quasi unique en Europe. A quelle époque a-t-elle été fondée et sous quelle impulsion?
Les collections de la BDIC sont issues de l’initiative privée d’un couple d’industriels parisiens, Louise et Michel Leblanc. Pour comprendre comment est né cet établissement, il faut remonter jusqu’en 1914, aux tout débuts de ce qui allait être la Première Guerre mondiale. Conscients de vivre un événement historique exceptionnel, les Leblanc entreprirent de consacrer leur temps et leur fortune, à recueillir des documents de toute nature, sur tout support et en toute langue, à propos du conflit qui était en train de naître. Cette initiative, que l’on peut qualifier de « multimédia » avant la lettre, fut une première en France. Une telle variété de supports, réunissant au sein d’une même collection, photographies, affiches, dessins, tableaux, mais aussi vaisselle et objets divers, était, en effet, totalement inédite. Jusqu’alors, les bibliothèques françaises et les centres d’archives étaient chacun spécialisés dans la recherche et la collecte de tel ou tel type de support. Dès l’origine, cette diversité a donc été l’un des traits majeurs de la collection des Leblanc.

En 1917, la collection Leblanc, qui compte déjà quelques dizaines de milliers de pièces, est donnée à l’Etat. Comment s’est opérée cette donation et quelles en ont été les conséquences ?
Après avoir été exposé un certain temps dans le salon privé des Leblanc, à Paris, l’ensemble de la collection a effectivement été donnée à l’Etat. L’acceptation de cette donation fut débattue au Parlement, puis devant la Commission de l’instruction publique, qui souhaitait intégrer cette collection à celles de la bibliothèque du Musée de la guerre, future BDIC. L’objectif était d’attribuer à cet établissement deux missions principales. D’une part, faire en sorte qu’elle devienne un laboratoire d’histoire qui collecte, classe et inventorie tous les documents pouvant servir à l’histoire de la guerre, qu’elle développe ses propres publications et présente des expositions. D’autre part, par le biais de ces expositions, que ce laboratoire d’histoire devienne aussi « une œuvre d’éducation populaire », et fasse connaître à un public plus vaste que celui des chercheurs, les données sur l’histoire du temps présent. Ainsi, la voie de la future BDIC était tracée : être un établissement marqué à la fois dans la recherche et dans la diffusion des connaissances. En 1925, la bibliothèque du Musée de la guerre fut installée très officiellement au château de Vincennes. Les collections furent rassemblées dans le donjon, et les salles de lecture, dans le patio de la Reine. Un an plus tard, en 1926, la bibliothèque du Musée de la guerre changeait d’appellation, pour prendre son nom actuel de « bibliothèque de documentation internationale contemporaine ». En 1934, elle fut rattachée à l’université de Paris.C’est très certainement Camille Bloch, historien et archiviste, premier directeur de la BDIC, qui en a donné l’impulsion. Il faut savoir qu’après le transfert des collections Leblanc à l’Etat, se sont principalement succédé, à la tête de la BDIC, des archivistes et des historiens. Force est de penser que ces archivistes et historiens ne pouvaient que vouloir inscrire la BDIC dans le tissu universitaire, afin de garantir son indépendance et son sérieux. Or, durant les années 30 et la période de l’entre-deux-guerres, les fonds récoltés par la BDIC se sont particulièrement accrus, faisant de cet établissement une véritable institution. Aussi, ceux-ci sont devenus une source d’études inestimable pour les universitaires. En effet, pour éclaircir et expliquer les causes et les conséquences de la Première Guerre mondiale, les historiens ont dû remonter au début du XXe siècle, voire assez loin dans le XIXe siècle. Fatalement, ils ont vu apparaître, dans son sillage, toute une série de révolutions, comme celles avortées en Allemagne, puis celle victorieuse, en Russie... Ils se sont donc mis à chercher des documents sur toutes les composantes de l’histoire du mouvement ouvrier, ont voulu comprendre, comment et pourquoi, le mouvement ouvrier avait été composé de différentes tendances idéologiques, comme l’anarchisme, le socialisme et, après 1920, la naissance du communisme. Ils ont également cherché à déceler les racines du nationalisme, à comprendre pourquoi les Balkans avaient été une poudrière aussi explosive... Très vite, la BDIC s’est donc spécialisée dans l’étude des relations internationales, et les historiens, complètement immergés dans leur époque, ont compris, à la fin des années 30, que les évènements internationaux s’accéléraient : l’avènement du fascisme en Italie, la montée du nazisme en Allemagne, la toute-puissance du stalinisme en URSS. Déjà, la BDIC disposait d’une somme précieuse d’informations et de documentation.

Fille de la « der des ders », comment la BDIC a-t-elle traversé ce nouveau « séisme » qui s’est abattu sur le monde dès 1939, et quel a été son destin après la Libération ?
La Seconde Guerre mondiale est une période particulièrement douloureuse pour la BDIC. Les troupes allemandes avaient installé l’un de leurs quartiers généraux dans le château de Vincennes, où elle résidait elle-même. En 1944, au moment de la Libération de Paris, ils mirent le feu au château. Un tiers de ses collections, notamment celles recueillies durant les années 30, fut entièrement brûlé. Le ministère de la Défense décida ensuite d’y installer divers services de l’armée de l’air et de terre. Celle-ci dût donc quitter les lieux et commença une véritable errance dans Paris. Eparpillée en plusieurs lieux distincts, la BDIC perdit progressivement de son crédit et s’étiola. Elle connut une période de profonde décadence. Jusqu’à ce qu’elle soit installée, quelques années plus tard, à Nanterre, dans un bâtiment construit spécifiquement pour elle.


Qu’est-ce qui a motivé le choix d’implantation de la BDIC sur la ville de Nanterre ?
Outre l’aspect foncier non négligeable, puisqu’il était nécessaire de trouver un lieu disposant d’une surface importante, pour y disposer l’ensemble des collections, le fait, qu’à l’époque, se développait, à Nanterre, une toute jeune faculté de sciences humaines, a, je crois, été un argument de taille en faveur de l’implantation de la BDIC sur ce territoire. Le déménagement des collections et des bureaux de la BDIC vers Nanterre eut lieu en 1970. En revanche, le Musée de la guerre, resta à Paris. Seule son appellation changea, et il devint le Musée des deux guerres. A l’époque, il fut jugé hasardeux de le transférer également sur Nanterre. La desserte de la ville en transports en commun n’était pas ce qu’elle est aujourd’hui : il n’y avait, en effet, que le train pour venir à Nanterre ; le RER n’étant arrivé que plus tard. Aussi, la direction de la BDIC négocia avec le ministère de la Défense pour obtenir, en échange du donjon du château de Vincennes, des salles dans l’Hôtel national des Invalides, pour y installer son musée.

Comment la BDIC parvint-elle à gérer cette séparation entre la bibliothèque et son musée ?
Il est évident qu’elle n’a pas facilité les choses. Je pense aussi, qu’à cette époque, on n’a pas donné à la BDIC les moyens adaptés pour qu’elle puisse faire face à sa nouvelle situation. Transférée à Nanterre dans un bâtiment qui était construit comme tous ceux des années 70, avec des grandes fenêtres et des baies vitrées, la majeure partie des subventions passait dans le chauffage et l’électricité ! Si bien qu’à la fin des années 70, ce fut la catastrophe. La BDIC ne pouvait plus acheter de documents pour agrandir son fond. Il a fallu attendre le début des années 80, pour qu’elle prenne enfin un nouvel essor. Et plus particulièrement, en 1982, année au cours de laquelle elle est devenue Centre d’acquisition et de diffusion de l’information scientifique et technique (CADIST), dans le domaine des relations internationales et monde contemporain, et a ainsi obtenu la reconnaissance de sa spécificité. A cette même période, le Musée des deux guerres a lui aussi pris un certain essor, en accueillant à nouveau des expositions – tradition avec laquelle il avait rompu depuis les années 30 –, et en proposant au public des thématiques très diverses, allant bien au-delà des deux guerres mondiales. C’est pour cela d’ailleurs, qu’en 1987, le musée fut appelé « Musée d’histoire contemporaine ». Une appellation qui correspond davantage à ses activités et à ses fonctions.

Comment définiriez-vous, aujourd’hui, l’identité de la BDIC ? Qu’est-ce qui en fait, selon vous, sa force et sa singularité ?
La BDIC se distingue très certainement par la diversité des thématiques qu’elle couvre : les deux guerres mondiales, les relations internationales, la vie intérieure des Etats, dans la mesure de son incidence sur la politique internationale, le mouvement ouvrier, la question des minorités, la colonisation, la décolonisation, les migrations internationales, les droits de l’homme…Une diversité thématique, à laquelle se superpose celle des zones suivies : l’Europe occidentale, l’Europe centrale et orientale, l’Amérique du Nord, l’Amérique latine, l’Afrique, mais aussi le Moyen-Orient. Son objectif est avant tout de permettre au public de se saisir d’un patrimoine, recueilli depuis maintenant près d’un siècle, pour mieux comprendre le monde d’aujourd’hui.

Outre cette diversité thématique, la BDIC dispose également d’une diversité de supports tout à fait impressionnante… Une fidélité à la « tradition Leblanc » ?
Oui, sans aucun doute. Aujourd’hui, notre fonds est constitué de plus d’un demi-million de monographies. De nombreux recueils s’y ajoutent, constitués de brochures émanant de partis et mouvements politiques, français et étrangers, relatifs aux questions politiques, économiques, sociales et culturelles des pays. Nous avons également des périodiques, soit plus de 40 000 titres et 3000 titres courants. A eux seuls, ils représentent près de 15 kilomètres de rayons sur 4000 m2. Par ailleurs, nous disposons aussi d’une section audiovisuel, composée, à ce jour, de 1500 documentaires (40% d’entre eux sont en langues étrangères), de 2500 vidéogrammes d’archives filmiques sur les deux guerres mondiales, les conflits contemporains, les questions sociales, complétés par des interviews inédites et de portraits d’hommes politiques, de 500 audiogrammes, 200 disques, (compilations de discours politiques), et enfin, de 50 cédéroms.

Comment la BDIC parvient-elle à se procurer ces documents ?
Il existe un secteur d’acquisition, composé de conservateurs spécialisés dans différents secteurs qui achètent dans toutes les langues, aussi bien en français, allemand, anglais, espagnol, portugais, polonais…Ce sont des connaisseurs très pointus des ères géopolitiques, dont ils sont chargés. Ils dépouillent régulièrement la presse et les éditions spécialisées, entretiennent des relations de confiance et de fidélité avec les universités et les chercheurs de des pays concernés. En fonction des thématiques que nous décidons de privilégier, les acquéreurs se répartissent, entre eux, les crédits qui nous sont alloués par le ministère de l’Education nationale, direction de l’enseignement supérieur et sous-direction des bibliothèques, et auquel nous sommes rattachés. A mon arrivée à la direction de la BDIC, il y a maintenant quatre ans, j’ai souhaité instaurer un volant financier d’acquisition commune. Car, il peut arriver que des acquéreurs soient confrontés à des offres d’acquisition exceptionnelle. Il faut donc pouvoir réagir immédiatement. Ainsi, par exemple, les acquisitions pour 2001/2004 sont essentiellement centrées autour des thématiques suivantes : les guerres, les génocides et crimes de guerre au XXe siècle, la colonisation et la décolonisation, le totalitarisme, et les droits de l’homme. Sur le plan géographique, une attention toute particulière est accordée aux Balkans, au Proche et au Moyen-Orient. De même, au niveau des documents, il nous paraît plus important et davantage du ressort de la BDIC, d’acheter des archives publiées en microfilms ou en microfiches, qui sont toutes très chères et, de ce fait, ne peuvent pas être achetées par des chercheurs individuels.

Vous disposez également de collections de fonds d’archives privées de personnalités, d’associations, de partis politiques français ou étrangers. Est-il fréquent que la BDIC reçoive des donations ?
Oui, c’est très fréquent. Ces collections dont vous parlez représentent à elles seules plus de mille mètres de linéaires. Pour ne citer que les plus récentes, nous avons, par exemple, reçu, en 2000, les archives historiques de la Ligue des droits de l’homme, celles de l’association des femmes déportées et internées, qui recensent de nombreux témoignages, textes, interviews audio vidéo, sur les déportations et sur les femmes résistantes à Ravensbrück, mais aussi toute une documentation sur l’exil républicain, sur les camps d’internement en 1939, et sur la collaboration pendant la Seconde Guerre mondiale. Un fonds très important, concernant l’évolution pendant trente ans, des pays d’Amérique latine, sur le plan politique et social, nous a également été légué. Des archives qui complètent l’ensemble des collections, notamment d’affiches, de cartes postales, de dessins et gravures, de peintures, photographies et sculpture, du Musée d’histoire contemporaine. A ce propos, nous sommes actuellement en train de traiter un fond très intéressant qui nous a été légué par le photographe Elie Kagan. Plus de 300000 photographies qui couvrent la vie politique et sociale de la France, entre les années 60 et les années 90.

Considérez-vous la réunification prévue entre la bibliothèque et le musée, en annexe du projet d’aménagement Seine-Arche, comme essentielle au développement futur de ces établissements ? Comment l’envisagez-vous et que peut-elle vous apporter ?
Il faut savoir que les bâtiments, dans lesquels nous sommes installés depuis maintenant plus de trente ans, étaient initialement prévus pour quinze ans. Ceux-ci sont aujourd’hui insuffisants. Nous faisons énormément d’efforts pour désengorger les magasins, en confiant, par exemple, des collections à des établissements extérieurs, comme au Centre technique du livre de l’enseignement supérieur, situé à Marne-la-Vallée, ou encore, en donnant éventuellement des collections un peu marginales à d’autres bibliothèques. Mais ce n’est pas une solution. Nous sommes donc ravis de ce projet de réunification de la bibliothèque et du musée, dont la future implantation est prévue à proximité de la nouvelle gare de l’Université et de la future place haute. Il va nous permettre de créer une véritable synergie entre ces deux entités, mais aussi de toucher plusieurs publics à la fois. Ainsi, ce sera l’occasion, pour le public universitaire, d’être davantage en prise avec un public beaucoup plus large, qui s’intéresse, cherche à apprendre, et qui, lui aussi, a droit aux données de la recherche les plus récentes et les plus rigoureuses.

Cécile Moreno