mardi 12 juin 2007

Cinéma - SEMPRE VIVU ! Film de Robin Renucci


ODE A LA VIE


L'oeil attentif, le coeur généreux, Robin Renucci est un cinéaste en voie de disparition. Anticonventionnel, l'acteur, connu, reconnu, refuse l'idée de vedettariat, se moque des compliments pompeux. Il est ailleurs. Chacun sa quête. Lui cherche l'indépendance de l'esprit, l'autonomie des corps, à travers l'art, l'acte créatif. Il choisit ses rôles, avec exigence, croise les destins de réalisateurs de renom tels que Michel Deville, Claude Chabrol, Bernardo Bertolluci, Jean-Pierre Mocky...
Passé derrière la caméra, il vient de réaliser son premier film pour le cinéma. Sempre Vivu! (littéralement « Toujours vivant ») est une création atypique, où comédie et tragédie avancent poings liés. Il y est question de l'homme, saisi avec tendresse dans ses paradoxes, ses affirmations. Toujours sincère même quand il ment ! Et puis de la Corse, bien sûr ! Terre d'origine du réalisateur, où s'est déroulé le tournage.

Robin Renucci nous a reçus à Paris, dans les locaux d'Agora Films, producteur et codistributeur du film. Rencontre avec un saltimbanque maniant les images et les mots avec jubilation.

Vous signez avec Sempre Vivu ! votre premier film pour le cinéma. Comment est né ce projet ?
A l'origine, il y a les Rencontres internationales de théâtre en Corse* que j'ai mises en place en 1998 pour développer la création et l'imaginaire des habitants du petit village de montagne enclavé d'Olmi-Cappella, où sont mes racines. Dans ce film, j'ai souhaité continuer l'aventure en leur donnant la parole. J'ai eu envie de les filmer dans leur quotidien, leurs rêves, de mettre en valeur leur sincérité, leurs coups de gueule et leur timbre de voix. La plupart d'entre eux n'avaient jamais joué de leur vie.

D'une certaine manière, votre démarche a consisté à donner la parole au public. C'est très inhabituel...
Sempre Vivu ! est un film déroutant, dérouté même. Il sort des sentiers battus parce qu'il est fait sans acteurs connus, pour et par le public. En rompant avec l'idée du spectateur-consommateur, il cherche à susciter en lui des émotions, à l'emmener vers des territoires inconnus. Et surtout, à lui rendre une parole si souvent confisquée. J'ai donc ouvert un atelier d'écriture, dirigé par Ricardo Montserrat, écrivain, qui a réuni pendant un mois des participants venus de la Corse entière. Cela renvoie à la notion de « culture populaire » dont je suis issu et que je revendique, c'est-à-dire que chacun est capable de créer, mais surtout d'être l'artisan de sa propre vie et d'affirmer son identité.

Le pari était audacieux. Qu'est-il ressorti de cet atelier d'écriture ?
La matrice du scénario. A savoir l'idée d'adopter le point de vue d'un vieux maire qui a toujours été à la lisière de l'illégalité et qui cherche à se racheter en construisant un théâtre. Le début d'une farce en somme, pour mieux parler d'une situation réelle : l'enjeu que peut représenter la culture, ici la construction d'un théâtre, dans une campagne en voie de désertification. J'ai ensuite travaillé cette matière écrite collectivement pour structurer la narration et donner son rythme au film.

Sempre Vivu ! oscille entre légèreté et gravité de ton. Cela génère une oeuvre décalée, atypique.
Le film est fondé sur des vrais mensonges, de fausses vérités, des malentendus qui n'en sont pas, des non-dits assourdissants. L'influence de la Commedia dell'Arte est omniprésente. Par le choix de la comédie « à l'italienne », qui déplace la Corse un peu plus à l'est qu'habituellement, j'ai voulu distiller une humeur de « joyeux bordel ». Une dimension baroque, proche aussi de l'Europe centrale, et tzigane.

Selon vous, est-ce à travers le rire que l'on parvient à saisir la dimension tragique de l'être humain ?
La tragédie est tout à fait liée à la comédie. Cela se passe au même endroit. Les rires et les larmes partent du très puissant bas-ventre. Je suis convaincu qu'il fallait une farce pour raconter sans pleurer les ravages que font le mensonge, la corruption, l'autisme des administrations, l'égoïsme des gens au pouvoir. Il m'importait aussi de redonner de l'espoir, de rendre sa place à la langue, à la culture, et de réconcilier l'irréconciliable : les frères ennemis, la vie et la mort, les jeunes et les vieux, le vrai et le faux, les modernes et les anciens. Et pour finir d'imaginer un avenir vivant et joyeux.

Le passage à la réalisation était-il pour vous une évidence ?
C'est comme un accouchement. A la fois le plaisir de donner la vie, et, en même temps, la difficulté d'enfanter, de porter quelque chose qui est long.

Propos recueillis par Cécile Moreno

* Contact : ARIA (association des rencontres internationales artistiques).
Tél. : 04 95 61 93 18. Site Web : http://www.aria-corse.com



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